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en wagon

C’était bien la peine d’avoir mis les bouchées doubles, avalé d’un trait son café, l’œil fixé sur l’indicateur pour être un quart d’heure en avance. Avoir choisi de longue main son compartiment, avoir habilement distribué ses bagages dans les filets et sur les banquettes comme des épouvantails sur les cerisiers, être resté jusqu’à la dernière minute debout à la portière, défendant, comme l’ange du Seigneur, l’entrée de son paradis terrestre, tout cela, en pure perte pour se voir ainsi envahi, débordé, par une véritable smala.

Ah ! s’il avait eu là, bien placé en évidence, certaine boîte de chasse à l’inscription diabolique « balles explosibles » ! Comme cette machine pneumatique d’un nouveau genre eut fait le vide autour de lui ; mais on ne pense pas à tout, ce serait pour la prochaine fois.

Pelotonné dans son coin, renfrogné, maussade, la face apoplectique que la mauvaise humeur vermillonnait davantage, un vieux monsieur, premier occupant de la voiture, jetait des regards furibonds sur ses malencontreux compagnons de route, surtout sur les enfants.

Les trois mignons bébés, dont l’aîné avait à peine huit ans et la petite dernière deux ou trois, écarquillaient leurs beaux yeux devant ces maisons blanches, ces bois verdoyants, ces champs dorés et colorés de tous les tons de la palette céleste qui fuyaient avec la vitesse de l’éclair.

La mère, une jeune femme en grand deuil, toute occupée de sa petite famille, se multipliait pour les distraire et les faire tenir sages et tranquilles devant elle.

« Une compagnie agréable, moi qui déteste les enfants, je suis bien tombé avec cette intéressante mère Gigogne.

Heureusement encore qu’elle n’a pas emmené quelque pie-borgne de servante pour m’agacer les oreilles avec les ab-