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carême

— Merci, je n’ai pas faim, répond celui-ci, sincèrement cette fois.

Il reprend son panier pour repartir, quand le maître d’hôtel se précipite dans la cuisine et, saisissant notre héros par l’oreille :

— Voleur ! brigand ! qu’as-tu fait du pâté ?

— Quel pâté !

— Celui que tu as mangé, sacripant ?

Et les horions pleuvent comme grêle sur la tête de l’infortuné qu’on entraîne brutalement. Carême ne se défend même pas ; une angoisse affreuse l’a saisi au cœur et lui met la sueur au front…

Une lumière éclatante l’éblouit ; il est devant Jean sans Peur et, sans oser le regarder, il tombe aux pieds du terrible prince…

— C’est toi qui as mangé mon pâté ?

— Oui, monseigneur, pardon, c’est moi… mais, je vous le jure, c’était en dormant…

Et d’une voix entrecoupée par les sanglots, il essaie, de narrer son histoire…

Mais Jean de Bourgogne n’est pas un prince débonnaire ; sa justice ressemble fort à celle de Douglas le Noir, qui pendait d’abord et jugeait ensuite ; aussi, interrompant brusquement l’infortuné tourne-broche :

— Ça ! te railles-tu de moi ! Holà ! sénéchal, que l’on accroche ce drôle à une bonne potence, pour lui apprendre à rêver de la sorte…

— Monseigneur je vous en conjure !

Carême tend ses mains suppliantes vers son juge, il lève les yeux, un cri lui échappe et, désignant un diable vert assis près du prince :

— C’est lui ! je le reconnais !… c’est lui qui m’a commandé de manger !…