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les apprentis de l’armurier

Bien des années ont passé sur ce souvenir, mais rien ne l’efface du cœur de la douairière. Le front courbé sous le triple poids de l’âge, du deuil et du remords, elle songe à l’enfant proscrit et repoussé, dont jamais plus elle n’a entendu prononcer le nom.

Et les yeux humides, les mains jointes, elle se tourna vers la Bohémienne. Anxieusement, avec l’accent d’une prière :

— Parlez vite !… parlez-moi de lui, dit-elle, les yeux fixés sur l’anneau qu’elle venait de recevoir.

— Il y a bien longtemps de cela, commença lentement la vieille ; je passais par ce village et demandai l’hospitalité dans ce château. Je fus brutalement éconduite, et, comme je redescendais, lasse et épuisée, vers la vallée, le sire de Dampierre, qui rentrait de la chasse et auquel je m’adressai suppliante, m’écarta si rudement que je tombai dans un fossé et me cassai la jambe.

« Je restai là plusieurs heures, attendant du secours et ne l’espérant guère, tant les fiers chrétiens ont du mépris pour notre race !

« J’avais soif, je tremblais de fièvre ; mes oreilles bourdonnaient, et un voile couvrait mes yeux, quand une voix douce m’adressa des paroles compatissantes.

« Un jeune homme était là, près de moi, essuyant la sueur qui coulait de mon front et me présentant à boire.

« Puis, voyant que je ne pouvais marcher, il me prit dans ses bras, lui, un gentilhomme, un chevalier, me porta à l’auberge voisine et me recommandant à l’hôte :

« — Veillez à ce que cette pauvre femme ait les soins nécessaires, dit-il ; voilà mon anneau : c’est tout ce que je possède, il vous dédommagera de vos peines.

« Il partit sans que j’aie pu le remercier ; mais Madja n’oublie ni le bien, ni le mal.