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les apprentis de l’armurier

On s’ennuyait ferme, en ces vieux donjons, murés aux bruits du dehors, et une pareille distraction était une fameuse aubaine.

Peu à peu tout le personnel du manoir se trouva réuni sous la voûte. Les serviteurs se joignirent aux gardes, et le sénéchal lui-même, venu pour gourmander les flâneurs, cédant à la contagion, se laissa séduire par la nouveauté et demeura les mains croisées sur son ventre, les yeux écarquillés, la bouche béante, riant comme un simple mortel des tours de l’intelligent oiseau qui, sur un signe de sa maîtresse, était allé saluer l’important personnage, avec la gravité d’un régisseur réclamant l’indulgence du public.

Mika était d’une adresse extraordinaire ; il obéissait au geste et à la parole.

Il comptait jusqu’à dix, quinze, vingt, et, s’il n’avait pas la voix mélodieuse que lui suppose malicieusement le renard de La Fontaine, du moins il n’ajoutait jamais un croassement au chiffre indiqué.

Il jouait aux dés et s’en acquittait à merveille, les jetant avec son bec et reconnaissant fort bien s’il avait gagné.

Alors, son petit œil noir brillait de plaisir comme celui d’un vrai joueur ; il attirait vivement la piécette qui servait d’enjeu, la repoussant au contraire, d’un air dépité, lorsque la chance favorisait son adversaire.

Chaque soldat voulut faire une partie avec lui, et le sénéchal lui-même daigna prendre le cornet et risquer une piécette contre ce singulier partenaire, tandis que la Bohémienne tirait l’horoscope des servantes.

Tout le monde était si bien absorbé par ces agréables occupations que, deux fois, le sifflet d’argent de la châtelaine retentit vainement dans les appartements déserts.