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Cette théorie, je n’ai pas besoin de vous le dire, prise sous une forme aussi absolue, est une théorie fausse. On aura beau faire, la plume ne sera jamais vraiment un pinceau. On aura beau faire, on n’obtiendra pas avec la plume les mêmes effets qu’avec le ciseau. Et si avec la plume on doit peindre, c’est condamner la poésie à une infériorité certaine, parce que jamais, avec les vers les plus pittoresques et les plus évocateurs, on n’arrivera à produire un effet aussi saisissant, aussi intense qu’avec la vision même de l’objet, que nous devons soit au tableau, soit à la statue. Faire de la poésie la rivale de la peinture et de la sculpture, c’est la condamner d’avance à être toujours battue.

De même que Théophile Gautier a été l’inventeur de la théorie du style plastique, il est le premier qui ait recommandé ce que l’on appelle la théorie de l’art pour l’art. La théorie de l’art pour l’art, voici à peu près ce que cela veut dire. Cela veut dire que l’artiste doit se désintéresser de toutes les choses de son temps, il doit être indifférent à ce qui préoccupe les autres hommes. C’était l’avis de Théophile Gautier. Il disait : " Rien ne sert à rien, et d’abord, il n’y a rien ; cependant tout arrive, mais cela est bien indifférent." Être indifférent à toute chose, être indifférent à la vie politique, indifférent à la morale, indifférent au progrès, indifférent à tout ce qui préoccupe les autres hommes, et être sensible seulement à son art, aux choses de son art. Mais alors, vous vous demandez : dans cet art où on ne met rien de ce qui préoccupe les autres hommes, qu’est-ce qu’on met ? Dans la théorie de