Page:Doudan - Pensées et fragments, 1881.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée
8
PENSÉES ET FRAGMENTS.

Il est impossible que chacun ne sente pas que ces figu- res si déterminées l’obligent à voir les personnages et les sites autrement qu’il ne se plairait à les voir, et, cependant, n’est-ce pas un des merveilleux arti- fices de la littérature, très supérieure en cela aux arts du dessin, de laisser l’imagination de chacun achever à sa manière le tableau dont l’esquisse est sous ses yeux. A la différence de la peinture et de la sculp- ture tenues à la précision des lignes, la littérature, tout en observant les conditions du beau général, donne à la sensibilité particulière de Pierre ou de Paul la facilité d’accommoder ce beau général aux conditions particulières des connaissances, des sou- venirs, qui sont le fonds de chacun et que chacun a besoin de retrouver dans le beau pour en être vive- ment et profondément touché.

Le sourire triste qui fait verser des larmes à la lecture d’une œuvre littéraire, n’est-il pas le sourire triste qui vous rappelle un être que vous avez aimé ? Dans la peinture ou dans une description littéraire trop précise vous ne voyez que le sourire qui a touché individuellement le peintre. Il y a une abondance d’images qui est le contraire de l’imagination dans le style. Celle-ci n’existe qu’à la condition des idées qui l’accompagnent. Il faut que les images soient serrées aux idées comme leur ombre ou leur reflet sur la terre ; que ce soit bien ce fil invisible qui réu-