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disait-il, ils enlèvent le poison, le venimeux de la surface de la terre, et il ajoutait sur un ton ironique : « Il n’y avait pas assez de crapauds sur la terre lorsque je suis né, j’ai respiré l’air mauvais en naissant. » Son jardin était rempli de crapauds, et il avait un beau jardin. Je crois qu’il se levait la nuit pour les cueillir le long des routes et les apporter chez lui.

Au temps de mes premières pêches, les bateaux à voiles abondaient le long de la grève du village de Lanoraie : quelques-uns étaient échoués pour toujours, comme un animal mort, la carcasse, les membres disjoints, tels des côtes décharnées, mêlaient aux senteurs marines des joncs épars, au soleil rutilant, l’émanation vague d’un goudron vieilli, attendaient que les futures débâcles printanières entraînassent leurs restes vermoulus vers des profondeurs de repos inconnu ; les autres attendaient les vents favorables au transport des cargaisons de bois, de sable ou de foin vers le port de leur destinée ; d’autres encore jouaient, légers au