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tion commençait à se lever dans mon cœur offensé. L’orgueil apparut tout à coup en moi, et quand nous nous retrouvions ensemble, Catherine et moi, à l’heure de la promenade, je la regardais avec une telle indépendance, si sérieusement, d’une façon si différente de celle d’autrefois, qu’elle en était frappée. Sans doute de pareils changements ne se montraient en moi que par intermittence, puis mon cœur recommençait à souffrir de plus en plus fort et je devenais encore plus faible, plus timide qu’auparavant.

Enfin, un matin, à mon grand étonnement et à ma joie, la petite princesse revint en haut. D’abord avec des rires fous, elle se jeta au cou de Mme  Léotard et déclara qu’elle s’installait de nouveau avec nous ; ensuite elle me fit un signe de tête et demanda la permission de ne pas travailler ce matin-là. Pendant toute la matinée elle courut et joua ; je ne l’avais jamais vue plus vive et plus joyeuse. Mais le soir elle redevint calme, pensive et de nouveau la tristesse se peignit sur son charmant visage.

Quand sa mère vint la voir, le soir, je remarquai qu’elle faisait des efforts extraordinaires pour paraître gaie, et quand sa mère fut partie, elle fondit tout à coup en larmes. J’étais stupéfaite. Catherine, ayant remarqué mon attitude, sortit. Bref, elle traversait une crise extraordinaire. La princesse consulta des médecins ; chaque jour elle faisait appeler Mme  Léotard pour l’interroger en détail sur Catherine. On lui donna l’ordre d’observer chacun de ses mouvements. Moi seule pressentais la vérité et mon cœur était plein d’espoir.

Notre petit roman touchait à sa fin.

Le troisième jour après la réinstallation : de Catherine chez nous, en haut, je remarquai que durant toute la matinée, le regard de ses beaux yeux s’était posé sur moi… Plusieurs fois j’avais rencontré son regard, et chaque fois, toutes deux nous avions rougi comme si nous avions honte. Enfin la petite princesse avait éclaté de rire et s’était éloignée de moi. Comme trois heures sonnaient, on se mit à nous habiller pour la promenade. Soudain Catherine s’approcha de moi.

— Votre soulier est détaché, me dit-elle. Attendez, je vais vous l’arranger.

Je voulus me pencher pour le rattacher moi-même, et j’étais rouge comme une cerise ; parce que Catherine me parlait enfin.