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comprendre toute seule sans l’aide quelqu’un, et ce n’était que dans les cas extrêmes, quand elle ne pouvait rien faire, qu’elle venait trouver Mme Léotard et lui demandait de l’aider à résoudre la question difficile. Il en était de même pour chacun de ses actes. Elle réfléchissait déjà beaucoup, bien qu’il n’y parût pas de prime abord. Mais, en même temps, elle était trop enfant pour son âge ; parfois il lui arrivait de dire une très grosse sottise, tandis que d’autres fois aussi ses réponses étaient pleines de ruse et de finesse. Enfin, comme je pouvais maintenant m’occuper de quelque chose, Mme Léotard, après m’avoir fait subir un examen et trouvé que je lisais bien et écrivais très mal, jugea qu’il était extrêmement nécessaire de m’apprendre tout de suite le français. Je n’élevai aucune objection, et un beau matin je me vis assise avec Catherine à la table de travail. Mais ce jour-là, comme exprès, Catherine fut très sotte et distraite, au point que Mme Léotard ne la reconnaissait pas. Quant à moi, dès cette première leçon, je savais déjà tout l’alphabet français, parce que j’avais un grand désir de plaire à Mme Léotard par mon application. À la fin de la leçon Mme Léotard se fâcha tout à fait contre Catherine.

— « Regardez-la, dit-elle en m’indiquant. Une enfant malade qui étudie pour la première fois, et qui avance dix fois plus que vous ! N’avez-vous pas honte ?

— « Elle en sait plus que moi ? demanda Catherine étonnée. Mais elle vient d’apprendre l’alphabet.

— « En combien de temps avez-vous appris l’alphabet ?

— « En trois leçons.

— « Et elle, en une seule. Alors elle comprend trois fois plus vite que vous, et vous dépassera très rapidement. Vous voyez. »

Catherine réfléchit un instant puis, tout à coup, devint rouge comme le feu. Elle s’était convaincue de la justesse de la remarque de Mme Léotard. Rougir, brûler de honte, c’était toujours par cela que se traduisait d’abord son dépit quand on lui reprochait ses défauts, quand on blessait son orgueil ; en un mot presque dans tous les cas. Cette fois elle faillit pleurer, mais elle se retint et se borna à jeter sur moi un regard foudroyant. Je compris aussitôt de quoi il s’agissait. La petite était extrêmement orgueilleuse et ambitieuse.