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ne soyez pas fâchée contre moi, Catherine, parce que je vous aime beaucoup.

— « Eh bien, dans ce cas, je jouerai seule, dit Catherine doucement, lentement, comme si elle s’apercevait avec étonnement qu’elle n’était pas coupable. Eh bien, au revoir, je ne me fâcherai pas contre vous.

— « Au revoir, répondis-je en me levant et en lui tendant la main.

— « Vous voulez peut-être m’embrasser ? demanda-t-elle après avoir réfléchi un peu, se rappelant probablement notre scène et voulant m’être le plus agréable possible.

— « Comme vous voudrez », répondis-je avec un timide espoir.

Elle s’approcha de moi et très sérieusement, sans un sourire, m’embrassa. Elle avait fait ainsi tout ce qu’on exigeait d’elle ; elle avait même fait plus qu’il fallait pour donner le plus grand plaisir à la pauvre enfant vers qui on l’envoyait. Elle s’éloigna de moi contente et gaie, et bientôt dans toutes les chambres retentirent de nouveau ses rires et ses cris, jusqu’à ce que fatiguée, respirant à peine, elle alla se jeter sur le divan afin de se reposer et faire provision de nouvelles forces. Durant toute la soirée elle me regarda d’un air soupçonneux ; je lui paraissais sans doute très originale et très bizarre. On voyait qu’elle voulait causer avec moi, éclaircir un malentendu à mon endroit, mais cette fois, je ne sais pas pourquoi, elle s’abstint.

Ordinairement, le matin, Catherine avait ses leçons. Mme Léotard lui enseignait le français. L’enseignement consistait à réciter la grammaire et à lire La Fontaine.

On ne l’accablait pas de travail, car c’est à grand peine qu’on était arrivé à obtenir d’elle qu’elle étudiât deux heures par jour. Elle avait consenti à cela sur la demande de son père et l’ordre de sa mère, et elle le faisait très consciencieusement, parce qu’elle en avait donné sa parole. Elle avait de très grandes capacités. Elle comprenait très rapidement, très nettement, mais elle avait quelques petites bizarreries. Quand elle ne comprenait pas quelque chose elle se mettait à y réfléchir, toute seule ; elle détestait demander des explications. Elle semblait trouver cela humiliant. On racontait qu’il lui arrivait parfois de se débattre toute une journée sur une question qu’elle ne pouvait pas résoudre se fâchant de ne pouvoir la