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nuit, du violon, de mon père. Je me rappelais comment je lui avais procuré l’argent ; mais réfléchir sur tous ces événements, les analyser, je ne le pouvais pas. Seulement mon cœur se serrait en y pensant. Arrivée au moment où j’avais prié près de ma mère morte, un frisson parcourait mes membres. Je tremblais, je poussais un léger cri, ma respiration devenait douloureuse, ma poitrine tremblait, tellement mon cœur battait, et, saisie d’effroi, je m’enfuyais de mon coin.

D’ailleurs, il n’est pas exact qu’on me laissait seule : on me surveillait sans cesse et avec beaucoup de zèle, tout en exécutant ponctuellement les instructions du prince qui avait ordonné de me laisser ma pleine liberté, de ne me gêner en rien, mais de ne pas me perdre de vue un seul instant. Je remarquais que, de temps en temps, quelqu’un des familiers ou des domestiques jetait un regard dans la chambre où je me trouvais, et s’en allait sans me dire un mot. J’étais très étonnée et un peu inquiète de cette attention. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi on faisait cela. Il me semblait qu’on me gardait pour quelque but, qu’on avait l’intention de faire plus tard quelque chose avec moi…

Je me rappelle que je recherchais toujours le coin le plus reculé afin, en cas de besoin, de m’y pouvoir cacher. Une fois, j’allai dans le grand escalier. Il était tout en marbre, large, couvert d’un tapis, et orné de plantes et de beaux vases. À chaque palier se tenaient assis, en silence, deux hommes de haute stature, habillés d’une façon bizarre, gantés et cravatés de bleu. Je les regardai étonnée, ne pouvant comprendre pourquoi ils étaient là, pourquoi ils se taisaient ; ils se regardaient l’un l’autre sans rien faire.

Ces promenades solitaires me plaisaient de plus en plus. En outre, il y avait une autre raison pour laquelle je fuyais volontiers notre étage. En haut vivait la vieille tante du prince ; elle ne quittait guère ses appartements. Le souvenir de cette vieille s’est gravé nettement dans ma mémoire. C’était peut-être le personnage le plus important de la maison. Dans leurs rapports avec elle tous observaient une étiquette sévère, et la princesse même, dont le regard était toujours si orgueilleux et si important, deux fois par semaine, à jour fixe, devait monter faire visite à sa tante. Ordinairement, elle venait le matin, commençait une conversation banale, souvent inter-