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jour, bien qu’une nouvelle enquête eût été faite et que l’innocence d’Efimov eût été formellement reconnue, il restait convaincu que la mort du malheureux chef d’orchestre était bien le fait d’Efimov, qui l’avait tué, sinon en l’empoisonnant, du moins d’une façon quelconque. L’arrêt ne fut pas mis à exécution ; le musicien tomba soudain malade d’une inflammation du cerveau, il devint fou et mourut à l’hôpital de la prison.

Durant toute cette affaire, l’attitude du propriétaire avait été des plus généreuses. Il multiplia les démarches pour mon beau-père comme s’il se fût agi de son propre fils. Plusieurs fois il alla le visiter dans la prison, pour le consoler et lui remettre de l’argent. Ayant appris qu’Efimov fumait, il lui apporta d’excellents cigares, et quand mon beau-père fut reconnu innocent, il donna une fête à tout l’orchestre. Le propriétaire regardait l’affaire d’Efimov comme intéressant tout l’orchestre, parce qu’il tenait à la bonne conduite de ses musiciens, au moins autant, sinon plus qu’à leur talent.

Toute une année s’écoula. Soudain le bruit courut qu’au chef-lieu de la province venait d’arriver un violoniste très connu, un Français, qui avait l’intention de donner plusieurs concerts. Aussitôt le propriétaire fit des démarches afin de le faire venir chez lui pour quelques jours. L’affaire s’arrangea ; le Français promit de venir. Tout était déjà prêt pour son arrivée ; on avait invité presque tout le district, quand tout à coup les choses se gâtèrent.

Un matin, on rapporta qu’Efimov avait disparu. On entreprit des recherches qui demeurèrent vaines. L’orchestre était dans une situation très embarrassante : une clarinette manquait. Mais soudain, trois jours après la disparition d’Efimov, le propriétaire recevait du Français une lettre dans laquelle celui-ci se dégageait en termes mécontents de l’invitation qu’il avait acceptée, ajoutant, sans doute par allusion, que dorénavant il serait très prudent dans ses rapports avec les amateurs ayant leur propre orchestre ; qu’il n’était guère encourageant de voir un véritable talent soumis aux ordres d’un homme qui n’en connaissait pas la valeur, et qu’enfin l’exemple d’Efimov, un véritable artiste et le meilleur violoniste qu’il eût rencontré en Russie, était une preuve évidente de la justesse de ses paroles.

Après avoir lu cette lettre, le propriétaire tomba dans un