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NIÉTOTCHKA NESVANOVA


(Suite[1])


III


À cette époque, tout Pétersbourg fut soudainement remué par une grande nouvelle : on annonçait l’arrivée du célèbre S… Tout ceux qui appartenaient pour si peu que ce fût au monde musical, à Pétersbourg, entrèrent en émoi. Les chanteurs, les acteurs, les poètes, les peintres, les mélomanes et même ceux qui ne l’étaient pas et affirmaient avec un modeste orgueil qu’ils ne comprenaient rien à la musique, s’arrachaient les billets. La salle ne pouvait contenir la dixième partie des enthousiastes qui avaient la possibilité de payer le billet d’entrée vingt-cinq roubles. Mais la réputation européenne de S…, sa gloire couronnée de lauriers, la fraîcheur inaltérable de son talent, les bruits répandus depuis peu qu’il ne prendrait plus que rarement l’archet pour le public, l’affirmation que c’était sa dernière tournée en Europe, et qu’ensuite il ne jouerait plus, tous ces bruits produisaient leur effet. En un mot, l’impression était générale et profonde.

J’ai déjà dit que la venue de tout nouveau violoniste, de toute célébrité, produisait sur mon beau-père l’effet le plus désagréable. Chaque fois, il s’empressait tout d’abord d’aller entendre l’artiste pour se rendre compte du degré de son talent. Il lui arrivait souvent d’être malade des louanges qu’il entendait autour de lui à l’adresse du nouveau venu, et il ne se calmait que s’il pouvait découvrir des défauts dans le jeu du violoniste et répandre avec une ironie amère son opinion par

  1. Voy. Mercure de France, no 444.