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vieux chapeau râpé et passa. Enfin un jour de grande fête, le matin, on annonça à B… que son ancien camarade Efimov venait le féliciter. B… alla à sa rencontre. Efimov était ivre. Il se mit à saluer très bas, presque jusqu’à terre, marmonna quelque chose et ne voulut à aucun prix entrer dans la chambre. Ce qui signifiait sans doute : Nous autres, gens sans talent, nous ne pouvons frayer avec des gens aussi admirables que vous ; pour nous, êtres infimes et misérables, la fonction de valet, qui vient féliciter aux jours de fêtes et s’en va aussitôt, est la seule qui nous convienne. En un mot tout dans sa conduite était bas, stupide et ignoble.

Après quoi B… ne le vit plus, jusqu’au moment de la catastrophe qui termina cette vie triste, lamentable, morbide et nébuleuse. Elle s’acheva d’une façon terrible. Cette catastrophe est étroitement liée non seulement aux premières impressions de mon enfance, mais même à toute ma vie. Voici comment elle se produisit.

Mais, auparavant, je dois expliquer ce que fut mon enfance et ce que fut pour moi cet homme, qui marqua si péniblement mes premières impressions et fut cause de la mort de ma pauvre mère.


II


Mes souvenirs ne remontent qu’à une dizaine d’années. Je ne sais pas pourquoi, mais tout ce qui m’est arrivé avant cette époque n’a laissé en moi aucune impression nette qui puisse maintenant éveiller un souvenir. Mais, à partir de huit ans et demi, je me rappelle nettement tout, jour par jour, sans interruption, comme si tout ce qui m’est arrivé depuis s’était passé hier.

Il est vrai que je puis me rappeler, comme dans un rêve, certains faits remontant à une date antérieure : une veilleuse toujours allumée dans un coin sombre, près d’une icône ancienne ; puis qu’un jour je fus renversée par un cheval, à la suite de quoi, à ce qu’on m’a raconté depuis, je fus malade pendant trois mois. Je me rappelle aussi que, pendant cette maladie, une fois, je m’étais éveillée dans le lit, près de ma mère avec qui je couchais, effrayée tout d’un coup de mes rêves maladifs, du silence de la nuit et des souris tapies dans un coin, et que j’avais tremblé de peur toute la nuit, cachée