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vez-la, si vous pouvez. Je vous attends dans votre cabinet. J’ai besoin de vous parler. Je vous dirai tout.

— Mais quoi, quoi ?

— Après.

La syncope et la crise durèrent deux heures. Toute la maison était en émoi. Le docteur hochait la tête. Au bout de ces deux heures, j’allai dans le cabinet de travail de Piotr Alexandrovitch. Il venait de quitter sa femme ; il marchait de long en large et se mordait les ongles jusqu’au sang. Il était pâle ; jamais je ne l’avais vu ainsi.

— Que voulez-vous me dire ? fit-il d’une voix rauque.

— Voici la lettre que vous m’avez arrachée. La reconnaissez-vous ?

— Oui.

— Prenez-la.

Il prit la lettre. Je l’observais attentivement. Au bout de quelques minutes il tourna rapidement la quatrième page et lut la signature. Je vis comment le sang lui monta au visage.

— Qu’est-ce que cela ? me demanda-t-il profondément étonné.

— Il y a trois ans que j’ai trouvé cette lettre dans un livre. J’ai compris qu’elle y avait été oubliée. Je l’ai lue et j’ai tout appris. Depuis, cette lettre ne m’a pas quittée, parce que je n’avais à qui la remettre. À elle, je ne pouvais pas. À vous… Mais vous ne pouvez ignorer le contenu de cette lettre et toute cette triste histoire… Pourquoi avez-vous feint, je ne sais pas ; je ne puis pas encore pénétrer votre âme obscure. Vous vouliez garder une supériorité sur elle ; mais pourquoi ? Pour triompher de l’imagination troublée d’une malade, pour lui prouver qu’elle s’était trompée, que vous étiez plus irréprochable qu’elle ? Et vous avez atteint votre but : son soupçon était l’idée fixe d’un esprit qui s’éteint ; c’était peut-être la dernière plainte d’un cœur brisé contre l’injustice d’un arrêt humain. « Quelle importance que vous l’ayez aimée ! » Voilà ce qu’elle disait, ce qu’elle voulait vous prouver. Votre orgueil, votre égoïsme jaloux furent sans pitié ! Adieu. Je n’ai pas besoin d’explications. Mais prenez garde, maintenant je vous connais, ne l’oubliez pas.

J’allai dans ma chambre, me rendant à peine compte de