termina si bien, avec tant de vie et de force, qu’enthousiasmée elle me prit les mains et me regarda avec joie.
— Annette, mais tu as une voix admirable ! dit-elle. Mon Dieu, comment ne l’ai-je pas remarqué ?
— Mais moi-même je n’en savais rien, répondis-je hors de moi de plaisir.
— Que Dieu te bénisse, ma chère enfant ! Remercie-le pour ce don. Qui sait ! Oh ! mon Dieu, mon Dieu !
Elle était si touchée par cette chose inattendue, elle était si folle de joie, qu’elle ne savait comment me le dire, comment me caresser. C’était une de ces minutes de révélation de sympathie mutuelle, de rapprochement que depuis longtemps nous n’avions plus. Une heure après, comme si c’était fête dans la maison, on envoya chercher B… En l’attendant, nous prîmes par hasard un autre morceau de musique que je connaissais mieux. Cette fois, je tremblais de crainte. J’avais peur de détruire la première impression. Mais bientôt ma propre voix m’encouragea et me soutint. J’étais surprise moi-même de sa force, et cette seconde expérience dissipa toute crainte. Dans l’accès de sa joie impatiente, Alexandra Mikhaïlovna fit venir les enfants, même la nounou, et enfin, au paroxysme de l’enthousiasme, elle alla chercher son mari dans son cabinet de travail, ce qu’elle n’eût jamais osé faire à tout autre moment.
Piotr Alexandrovitch écouta la nouvelle avec une grande bienveillance, me félicita et fut le premier à dire qu’il fallait me faire donner des leçons. Alexandra Mikhaïlovna, heureuse et reconnaissante comme s’il se fût agi d’elle, lui baisa les mains. Enfin parut B… Le vieillard était très heureux. Il m’aimait beaucoup. Il se rappelait mon père, le passé. Je chantai devant lui deux ou trois morceaux ; alors, d’un air sérieux, soucieux, même avec un certain mystère, il déclara que j’avais indiscutablement des moyens, même du talent et qu’il était impossible de ne pas me faire travailler. Ensuite, comme se reprenant, tous deux, lui et Alexandra Mikhaïlovna, jugeant qu’il était dangereux de me trop louanger au début, commencèrent à se faire des signes d’yeux ; mais leur conjuration était si naïve et si gauche, que je l’aperçus aussitôt. Je riais en moi-même pendant toute la soirée, en voyant comment, après chaque nouveau morceau, ils s’efforçaient de se retenir