nos histoires sont inséparables. Son roman est le mien, comme s’il m’avait été destiné de la rencontrer, de la trouver, et je n’ai pu me refuser le plaisir de me transporter encore une fois, par le souvenir, dans mon enfance…
Maintenant mon récit ira plus vite. Mon existence tout d’un coup est devenue calme, et j’eus l’air de m’éveiller de nouveau à la vie, quand j’avais déjà atteint mes seize ans.
Mais d’abord quelques mots de ce qu’il advint de moi après le départ de la famille du prince pour Moscou.
Je restai avec Mme Léotard. Deux semaines plus tard, nous reçûmes la visite d’un envoyé du prince qui venait annoncer que le retour du prince à Pétersbourg était différé pour un certain temps.
Comme Mme Léotard, par suite de diverses considérations de famille, ne pouvait pas aller à Moscou, son rôle dans la maison du prince était terminé. Toutefois elle resta dans la famille et alla chez la fille aînée de la princesse, Alexandra Mikhaïlovna.
Je n’ai encore rien dit d’Alexandra Mikhaïlovna que, du reste, je n’avais vue qu’une seule fois. Elle était la fille d’un premier mariage de la princesse.
L’origine et la parenté de la princesse étaient assez obscures. Son premier mari était fermier général.
Après son remariage, la princesse s’était trouvée fort embarrassée de sa fille aînée. Elle ne pouvait pas espérer pour elle un brillant parti, car sa dot était très modeste. Enfin, il y avait quatre ans de cela, on l’avait mariée à un homme très riche ayant une haute situation. Alexandra Mikhaïlovna était entrée dans une autre société et fréquentait un autre monde. La princesse allait la voir deux fois par an ; le prince, son beau-père, chaque semaine, et y conduisait Catherine. Mais, les derniers temps, la princesse n’aimait pas laisser Catherine aller chez sa sœur, et le prince l’y amenait en cachette. Les deux sœurs étaient très différentes de caractère. Alexandra Mikhlaïlovna était une jeune femme de vingt-deux ans, douce, tendre, aimante ; une sorte de tristesse résignée était répandue sur son beau visage. Le sérieux et la rigidité n’allaient pas plus à ses traits angéliques que le deuil à un enfant. On ne pouvait la regarder sans éprouver une profonde sympathie. Elle était pâle et, à l’époque où je la vis pour la première