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ridicule, et de plus, en ce moment, il avait presque perdu la tête. Quelque livre qu’il marchandât, c’était toujours un rouble argent, deux roubles, trois roubles argent ; les gros volumes, il n’en demandait même pas le prix ; il les regardait seulement d’un œil d’envie, les feuilletait, les tournait et retournait dans ses mains, puis les remettait en place. « Non, non, c’est cher, dit-il à demi-voix, mais ici il y a peut-être quelque chose… » Et il commença à examiner diverses petites plaquettes, des chansonniers, des almanachs ; tout cela était à vil prix. « Mais pourquoi voulez-vous acheter toutes ces gueuseries ? lui demandai-je, ce ne sont que des pauvretés, » — « Ah ! non, répondit-il, non, regardez seulement quels bons livres il y a ici ; vous verrez qu’il y a de très, très-bons livres ! » Et ces derniers mots furent prononcés d’un ton si dolent, si plaintif, que je crus qu’il allait pleurer de douleur parce que les bons livres coûtaient cher ; je m’attendais à voir une petite larme couler de ses joues pâles sur son nez rouge. « Quelle somme avez-vous ? » questionnai-je. — « Eh bien, voici — le pauvre homme me montra tout son argent, qu’il avait enveloppé dans un crasseux lambeau de journal — voici