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presque tout neuf. Je résolus d’aller à Gostinii Dvor. Les circonslances me servirent à souhait : le lendemain, justement, on eut besoin de certaines choses chez nous et chez Anna Fédorovna. Manière était un peu souffrante, et Anna Fédorovna ne se souciait pas ce jour-là d’aller en courses ; je fus donc chargée de faire toutes les commissions, et je partis avec Matréna.

Par bonheur, je trouvai très-vile un exemplaire de Pouchkine, fort élégamment relié. Je commençai à le marchander. D’abord on m’en demanda plus cher que dans les librairies ; mais après que j’eus bien bataillé et plusieurs fois fait mine de m’en aller, le bouquiniste, devenu plus traitable, rabattit ses exigences à dix roubles argent. Que j’étais gaie en marchandant ainsi !… La pauvre Matréna ne comprenait pas ce que j’avais, ni pourquoi je m’avisais d’acheter tant de livres. Mais, hélas ! toute ma fortune se réduisait à trente roubles papier, elle marchand ne voulait entendre parler d’aucune nouvelle concession. Je me mis à le supplier, et à force d’instances, de sollicitations, j’obtins un rabais, mais seulement de deux roubles cinquante kopeks ; encore le bouquiniste jura-t-il que s’il m’accordait cette diminution, c’était uniquement