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édition : je décidai que j’achèterais un Pouchkine. Je possédais trente roubles, gagnés par mon travail. J’avais mis cette somme de côté pour m’acheter une robe neuve. J’envoyai tout de suite notre cuisinière, la vieille Matréna, s’informer de ce que coûtait un Pouchkine complet. Hélas ! le prix des onze volumes, en y ajoutant les frais de reliure, s’élevait au moins à soixante roubles. Où trouver de l’argent ? Je retournais la question sous toutes ses faces sans parvenir à la résoudre. Je ne voulais pas m’adresser à ma mère. Sans doute, elle me serait venue en aide, mais alors toute la maison aurait eu connaissance de notre cadeau. D’ailleurs, ce n’aurait plus été un cadeau, mais le payement d’une dette, la rémunération des soins que Pokrovsky avait donnés à mon éducation pendant toute une année. Je tenais à offrir mon présent seule, à l’insu de tout le monde. Quant aux leçons de mon ancien précepteur, je voulais lui en avoir toujours l’obligation et ne les reconnaître que par mon amitié. — Je trouvai enfin un moyen de sortir d’embarras.

Je savais que chez les bouquinistes de Gostinii Dvor on peut, en marchandant, avoir à moitié prix un livre souvent à peine défraîchi et