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protestation contre les injustices de l’ordre social, ce n’est point parce qu’il en souffre, mais parce qu’elles font souffrir ceux qu’il aime, et encore ce léger mouvement de révolte, il se le reproche aussitôt comme un crime. C’en est un, en effet, aux yeux de ce chrétien qui voit dans toutes les choses humaines l’accomplissement d’un décret providentiel. Pourquoi s’irriter de l’inégalité des conditions, puisque chacun tient de la volonté divine sa place ici-bas ? « Celui-ci est destiné à porter les épaulettes de général, celui-là à servir comme conseiller titulaire ; tel a pour lot le commandement, tel l’obéissance craintive et silencieuse. Cela est réglé suivant les capacités de l’homme ; l’un est propre à une chose, l’autre à une autre, et les capacités sont données par Dieu lui-même. » Ainsi pense Makar Diévouchkine ; il se représente le monde comme une immense administration où chacun est molesté par son supérieur, et moleste son inférieur ; autrement, remarque-t-il, il n’y aurait pas d’ordre. Cette