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fixées cinq longues tablettes chargées de livres. Il y avait des papiers sur la table et sur les chaises. Des livres et des papiers ! À mon esprit s’offrit une idée terrible qui, en même temps, me causa un véritable crève-cœur. Je me figurai que mon amitié, l’affection d’une âme aimante étaient peu de chose pour lui. Il était instruit, tandis que moi j’étais bête, je ne savais rien, je n’avais rien lu, pas un seul livre… Je jetai alors un regard d’envie sur les longs rayons qui pliaient sous leur fardeau. Le chagrin, le dépit, une sorte de rage s’emparèrent de moi. Je me proposai, je résolus à l’instant même de lire les livres de Pokrovsky, de les lire tous jusqu’au dernier, et le plus tôt possible. Je ne sais pas, je pensais peut-être qu’en apprenant tout ce qu’il savait, je serais plus digne de son amitié. Je m’approchai vivement du premier rayon ; sans réfléchir, sans hésiter, je saisis le premier volume qui me tomba sous la main, — un vieux livre couvert de poussière, — et rougissant, pâlissant, tremblante d’agitation et de crainte, je remportai chez moi avec l’intention de le lire la nuit, à la clarté de la veilleuse, lorsque ma mère serait endormie.