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lui parler de niaiseries ou lui poser les questions les plus oiseuses ; enfin il arrivait quelquefois ivre. Peu à peu le jeune homme fit perdre ces mauvaises habitudes à son père, qui en vint à l’écouter en tout comme un oracle et à ne plus oser ouvrir la bouche sans sa permission.

Le pauvre vieillard ne pouvait se rassasier de la vue de son Pétinka (c’est ainsi qu’il appelait son fils). Quand il venait chez lui en visite, il avait presque toujours l’air soucieux, craintif, probablement parce qu’il ne savait pas quelaccueil il recevrait. D’ordinaire, il hésitait longtemps à entrer, et, si par hasard je me trouvais là, il me questionnait pendant vingt minutes : « Eh bien, comment va Pétinka ? Il se porte bien ? Quelle est, au juste, sa disposition d’esprit ? N’a-t-il pas quelque occupation importante ? Qu’est-ce qu’il fait, au juste ? Il écrit où il est absorbé dans quelque méditation ? » Quand je lui avais donné toutes les assurances de nature à le tranquilliser, le vieillard se décidait enfin à entrer ; tout doucement, avec mille précautions, il entre-bâillait la porte et commençait par passer sa tête dans l’ouverture. Si son fils, au lieu de se fâcher, lui adressait un léger salut, il pénétrait dans la chambre en assourdissant son pas, se débarras--