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achever la leçon, se retirait, irrité, dans sa chambre. Chez lui, il passait des journées entières à lire. Il avait beaucoup de livres, et des livres de prix, des raretés. Il se faisait un peu d’argent, grâce à quelques élèves qu’il avait au dehors, et, sitôt qu’il se trouvait en fonds, il allait acheter des livres.

Avec le temps je le connus mieux, plus intimement. C’était un homme très-bon, très-digne, le meilleur de tous ceux qu’il m’avait encore été donné de rencontrer. Ma mère le tenait en grande estime. Plus tard il fut pour moi aussi le meilleur des amis, — bien entendu après ma mère.

Dans les premiers temps, toute grande fille que j’étais, je m’associais aux gamineries de Sacha : durant des heures entières, nous nous ingéniions à inventer des farces pour tourmenter Pokrovsky et le pousser à bout. Il entrait dans des fureurs comiques qui nous amusaient au plus haut point. (Je ne puis même me rappeler cela sans honte.) Un jour, nous l’irritâmes presque jusqu’à le faire pleurer, et je perçus distinctement ces mots proférés par lui à voix basse : « Méchants enfants ! » Je perdis soudain contenance, j’éprouvai un mélange de confu-