Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure de faire face aux dépenses imprévues ; force nous était donc d’avoir de l’argent à notre disposition. Nous en amassions à tout hasard ; nous espérions pouvoir, avec le temps, nous transférer ailleurs. Mais ma mère usait dans le travail le peu de santé qui lui restait : elle devenait chaque jour plus faible. La maladie, comme un ver, rongeait sa vie et la conduisait au tombeau. J’avais tout cela sous les yeux, je le voyais, je le sentais, et combien douloureusement !

Les jours se succédaient, et le lendemain ne différait pas de la veille. Nous vivions dans une retraite aussi profonde que si nous avions éyé à la campagne. Anna Fédorovna s’adoucissait peu à peu à mesure qu’elle acquérait un sentiment plus net de son omnipotence. Du reste, personne n’avait jamais pensé à la contrecarrer en rien. Un corridor séparait son appartement de notre chambre, et à côté de nous, comme on l’a vu plus haut, demeurait Pokrovsky. Il enseignait à Sacha le français, l’allemand, l’histoire, la géographie, — toutes les sciences, comme disait Anna Fédorovna, qui, en retour, donnait au jeune homme la table et le logement. Sacha était une fillette fort intelli-