Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit toujours qu’elle est propriétaire et prétend être notre parente. C’est aussi ce que disait ma mère ; elle faisait seulement observer que cette parenté était fort éloignée. Du vivant de mon père, Anna Fédorovna n’était jamais venue nous voir. Elle arriva les larmes aux yeux, déclara qu’elle s’intéressait beaucoup à nous, s’apitoya sur la perte que nous avions faite et sur notre malheureuse situation, ajoutant que la faute en était à mon père lui-même : il n’avait pas vécu selon ses moyens, il avait trop embrassé, trop présumé de ses forces. Elle témoigna le désir de se lier plus intimement avec nous, et nous convia à l’oubli des anciennes discordes. Ma mère ayant répondu qu’elle n’avait jamais nourri aucun mauvais sentiment à son égard, Anna Fédorovna versa quelques larmes, emmena ma mère à l’église et fit célébrer un service pour le repos de l’âme du « chéri » (ainsi s’exprima-t-elle en parlant de mon père). À l’issue de la cérémonie, elle se réconcilia solennellement avec ma mère.

Après de longs préambules, après nous avoir dépeint sous les couleurs les plus vives le dénûment, la situation lamentable, désespérée, dans laquelle nous laissait la mort de mon père,