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déboires. Et comment était-il possible de tourmenter ma pauvre mère ? Rien qu’à la voir, on avait le cœur navré ; ses joues se creusaient, ses yeux lui rentraient dans la tête, son teint était celui des phthisiques. Plus que personne j’avais à souffrir des algarades de mon père. Le point de départ était toujours une niaiserie, mais ensuite Dieu sait où en venaient les choses ! Souvent je ne comprenais même pas de quoi il s’agissait. Quel chapelet ! Je ne savais pas parler le français, j’étais une grande sotte, la directrice de notre pension était une femme négligente, une imbécile ; elle ne s’occupait pas de notre moralité ; mon père n’avait pas encore pu trouver d’emploi ; la grammaire de Lhomond était une grammaire détestable, et celle de Zapolsky valait beaucoup mieux ; on avait dépensé en pure perte de grosses sommes pour mon éducation ; évidemment je n’avais pas plus de cœur qu’une pierre ; — bref, je faisais, moi pauvre fille, tout ce que je pouvais, je m’évertuais à apprendre des dialogues, des mots, et tout retombait sur moi ; j’étais le bouc émissaire ! Non pourtant que mon père ne m’aimât point ; loin de là ! Il nous adorait, ma mère et moi. Mais tel était son caractère.