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ment absorbé par les affaires, ma mère s’occupait du ménage ; on ne m’apprenait rien, et j’en étais enchantée. De grand matin je courais soit à l’étang, soit au bois ; j’allais me mêler aux faneurs ou aux moissonneurs ; je m’enfuyais du village sans savoir où je portais mes pas, sans m’inquiéter des ardeurs du soleil, sans me soucier des buissons d’épines qui me déchiraient le visage et mettaient mes vêtements en lambeaux ; — de retour à la maison, j’étais grondée, mais cela m’était égal.

Il me semble que j’aurais été fort heureuse si j’avais dû passer même toute ma vie dans cette campagne sans jamais en sortir. Mais, étant encore enfant, je fus forcée de quitter le lieu natal. Je n’avais que douze ans lorsque nous nous transférâmes à Pétersbourg. Ah ! avec quelle tristesse je me rappelle nos affligeants préparatifs de départ ! Comme je pleurai en disant adieu à tout ce qui m’était si cher ! Je me souviens que je me jetai au cou de mon père et que je le suppliai avec larmes de rester encore quelque temps au village. Mon père se mit à m’invectiver, ma mère pleura ; elle dit qu’il fallait partir, que nos affaires exigeaient cela. Le vieux prince P…sky était mort. Les