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table. Chez elle demeurait sa petite-fille Mâcha. Je me la rappelle encore enfant ; ce doit être à présent une fillette de treize ans. Elle était si gamine, si gaie, elle nous faisait toujours rire ; eh bien, nous vivions ainsi à trois. Dans les longues soirées d’hiver nous nous asseyions autour de la table ronde, nous buvions une petite tasse de thé, et puis nous nous mettions à l’ouvrage. Pour que Mâcha ne s’ennuyât pas, et pour la faire rester tranquille, la vieille commençait à raconter des histoires. Et quelles histoires c’étaient ! Non-seulement un enfant, mais même un homme sensé et intelligent pouvait les écouter avec intérêt. J’allumais ma pipe et je prêtais une telle attention à ces récifs que j’en oubliais ma besogne. Et l’enfant, notre gamine, devenait pensive ; elle appuyait sa joue rose sur sa petite menotte, elle ouvrait sa jolie petite bouche, et, si l’histoire était un peu effrayante, il fallait la voir se serrer contre la vieille ! Pour nous c’était un plaisir de la regarder ; et l’on ne s’apercevait pas que la bougie tirait à sa fin, on n’entendait pas l’ouragan mugir au dehors. — Nous menions une bonne vie, Varinka, et voilà comment nous avons passé ensemble près de vingt ans. — Mais pourquoi ce bavardage ? Un