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parle de lui, qu’on critique son extérieur piteux. Et chacun sait, Varinka, que l’homme pauvre est pire qu’un chiffon, qu’il ne peut jouir d’aucune considération, quoi qu’on écrive ! Oui, quoi qu’ils écrivent, ces barbouilleurs de papier, la situation de l’homme pauvre ne changera pas. Et pourquoi donc restera-t-elle la même ? Mais parce que, suivant eux, tout chez l’homme pauvre doit être mis au grand jour, parce qu’il lui est défendu d’avoir sa vie privée, sa dignité personnelle. Tenez, Emilian m’a dit l’autre jour qu’on a fait quelque part une souscription en sa faveur, et que pour chaque pièce de dix kopeks il a eu à subir une sorte d’inspection officielle. Les gens ont cru lui donner leurs grivenniks à titre gratuit, mais pas du tout : ils se sont payé avec cet argent le spectacle d’un homme pauvre. À présent, matotchka, la charité elle-même se fait d’une drôle de façon... mais peut-être qu’il en a toujours été ainsi, qui sait ? Ou l’on ne sait pas s’y prendre, ou l’on est fort habile, — c’est l’un des deux. Vous ne saviez peut-être pas cela ; eh bien, je vous l’apprends ! À d’autres égards notre ignorance est grande, mais sur cette question nous sommes ferrés ! Et comment l’homme pauvre sait-il tout