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Et il se signa. Je montai, il me serra contre lui, sur sa poitrine, et je m’oubliai, comme dans un rêve… Quand je revins à moi, nous étions au bord d’un large fleuve. Nous descendîmes, il s’avança dans l’oseraie, et j’aperçus bientôt une petite barque qu’il y avait cachée.

— Adieu, dit-il, adieu, bon cheval ! Cherche un nouveau maître, les anciens t’abandonnent tous.

Je me jetai vers le cheval de mon père et je l’embrassai. Puis nous nous assîmes dans la barque, il prit les rames, et bientôt nous perdîmes de vue le bord. Alors il leva les rames et regarda tout autour sur l’eau.

— Salut ! Cria-t-il, Volga, ma mère, mon beau fleuve orageux, la fontaine inépuisable où boivent tous les enfants de Dieu ! Ma mère nourricière ! As-tu surveillé mon bien pendant mon absence ? Mes marchandises sont-elles en bon état ?… Eh ! Prends tout, si tu veux, l’orageux, l’insatiable ! Mais permets-moi de garder, de caresser ma perle sans prix !… Et toi, dis donc un mot, belle fille, un seul mot ! Éclaire l’orage, soleil ! Lumière, dissipe la nuit !