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souvent ma mère…) Je me lève, je me pends à sa ceinture, je cherche à lui arracher son couteau : il grince des dents, veut me repousser, me frapper dans la poitrine, mais sans réussir à se défaire de moi. Je pense que ma dernière heure est venue, mes yeux se convulsent, je tombe par terre, mais sans crier. Alors je le vois ôter sa ceinture, retrousser sa manche, et me tendant le couteau et me montrant son bras nu, il me dit : « Coupe donc ! Je t’ai offensée, venge-toi, orgueilleuse fille, et je te saluerai jusqu’à terre. » Je prends le couteau et le jette, les yeux baissés et en souriant sans desserrer les lèvres. Puis je regarde les yeux tristes de ma mère, je la regarde impudemment, et mon insolent sourire ne quitte pas mes lèvres. Ma mère était pâle comme une morte…

Ordinov écoutait attentivement cet incohérent récit. Mais peu à peu l’intensité même de ses souvenirs calma la pauvre fille. Comme un flot dans la mer, son angoisse actuelle se dispersait dans son ancien malheur.

— Il remit son bonnet sur sa tête, sans saluer. Je repris la lanterne pour l’accompagner, au lieu de ma mère qui, toute malade, voulait le suivre.