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tremblant, puis je prends la lanterne, et vais, toute seule, ouvrir la porte cochère… C’était lui ! Ma peur redouble. J’avais toujours eu peur de lui, toujours, aussi loin que je puis me rappeler ! Il n’avait pas encore les cheveux blancs, sa barbe était noire comme du goudron ; ses yeux, deux charbons ardents ! Et pas une seule fois encore il ne m’avait regardée avec douceur.

— Ta mère est-elle à la maison ? Me demanda-t-il.

— Mon père n’y est pas, dis-je, et je fermai la petite porte.

— Je le sais bien…

Et tout à coup il me regarda, il me regarda d’une telle façon !…

C’était la première fois qu’il me regardait ainsi. Je fis quelques pas, il restait immobile.

— Pourquoi ne venez-vous pas ?

— Je réfléchis[1].

Nous allions entrer dans la chambre.

— Pourquoi m’as-tu dit que ton père n’est pas à la maison, quand je t’ai demandé si ta mère y était ?

  1. Mot à mot : Je pense une pensée.