Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/84

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Mais il me le défend toujours ; il me supplie de me taire, et pourtant, par ses reproches, par ses colères, c’est lui-même quelquefois qui ranime toutes mes souffrances. C’est mon ennemi, mon bourreau. Et dans la nuit tout me revient, comme à présent… Écoute, écoute ! – Il y a longtemps déjà que tout cela est arrivé, il y a bien longtemps ! Je ne sais même plus quand, et pourtant je revois tout comme si c’était d’hier, comme un rêve de la veille qui m’aurait serré le cœur durant toute la nuit. Le chagrin abrège le temps… Mets-toi, mets-toi plus près de moi. Je te dirai tout mon malheur, et si tu peux m’absoudre, moi qu’une mère a maudite, je te donnerai ma vie.

Ordinov voulut l’interrompre, mais elle joignit les mains en lui demandant de l’écouter au nom de son amour, et, dominée par une toujours croissante inquiétude, elle se mit à parler. Ce fut un récit sans suite, le flux et le reflux d’une âme en tempête. Mais Ordinov comprit tout, car leurs vies s’étaient mêlées, et leurs malheurs ; et dans chacune des paroles de Catherine, il voyait, reconnaissait son propre ennemi. N’était-ce pas le vieillard de ses rêves d’enfant, – Ordinov le