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lui traversa l’esprit et se traduisit sur son visage par un frémissement convulsif.

— Oui, ensorcelée, continua-t-elle, le méchant homme m’a ensorcelée, lui, c’est lui qui m’a perdue !… Je lui ai vendu mon âme… Pourquoi donc, pourquoi m’as-tu rappelé ma mère ? Pourquoi me tourmenter, toi aussi ? Que Dieu te juge et te pardonne !

Elle se remit à pleurer.

— Il dit, — reprit-elle tout bas avec un accent mystérieux, — que quand il sera mort, il viendra chercher mon âme pécheresse… Je suis à lui, il m’a pris mon âme… et il me tourmente ! Il me lit dans les livres… Tiens, regarde, voici son livre ! Voici son livre !… Il dit que j’ai commis un péché mortel… Regarde, regarde donc…

Elle lui tendait un livre. Ordinov ne remarqua pas d’où elle le tirait, il le prit machinalement et l’ouvrit. C’était un volume comparable à ceux des vieux Raskolniki[1]. Mais il ne pouvait fixer son attention, le livre lui tomba des mains. Il étreignit doucement Catherine et s’efforça de la calmer.

  1. Secte de vieux croyants qui conservent les Écritures telles qu'elles étaient avant les corrections du patriarche Nikon.