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que tu demandais à entrer chez nous !) que je t’aimerais parce que tes yeux, quand tu me regardes, sont aimants et disent ton cœur. Quand ils parlent, tes yeux, je sais tout ce qui se passe en toi. Et c’est pourquoi je voudrais te donner pour ton amour ma vie et la chère petite liberté[1], car il est doux d’être même l’esclave de celui dont on a le cœur… Mais ma vie n’est plus à moi, et la chère petite liberté est perdue. Prends-moi pour ta sœur et sois mon frère. Que je puisse être près de ton cœur si de nouveau les chagrins et la maladie t’accablent. Seulement fais que je puisse venir sans honte et sans regret chez toi, et passer avec toi, comme aujourd’hui, toute la longue nuit… M’as-tu entendue ? M’as-tu ouvert ton cœur comme à une sœur ? M’as-tu comprise ?…

Elle voulait parler encore, elle le regarda, mit une main sur l’épaule du jeune homme et enfin, épuisée, tomba sur sa poitrine. Sa voix mourut dans un sanglot passionné. Son sein s’agitait, son visage rayonnait comme l’étoile du soir.

— Ma vie !… murmura Ordinov.

Sa vue se troublait, la respiration lui manquait.

  1. Expression russe.