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Il menait une existence monotone et solitaire. Trois ans auparavant, ayant obtenu un grade universitaire et s’étant ainsi rendu relativement indépendant, il était allé chez un certain vieillard qu’il ne connaissait encore que de nom. Les domestiques en livrée l’avaient longtemps fait attendre avant de consentir à l’annoncer pour la seconde fois ; enfin il était entré dans un salon vaste, obscur et presque sans meubles, tel qu’on en trouve encore dans les anciennes maisons du temps des châteaux. Là, il avait aperçu un personnage tout chamarré de décorations et la tête couverte de cheveux gris : l’ami et le collègue du père d’Ordinov et le tuteur de celui-ci. Le vieillard lui remit une somme insignifiante, reliquat d’un héritage vendu aux enchères. Ordinov reçut cette somme avec indifférence, fit ses derniers adieux à son tuteur et sortit. — C’était un soir d’automne, morne et triste. Ordinov réfléchissait. Il se sentait le cœur plein d’une désolation sans cause, ses yeux brillaient de fièvre, et il avait des frissons sans cesse alternés de chaud et de froid. Il calculait qu’il pourrait, avec cette somme, vivre deux ou trois ans, quatre peut-être en faisant la