Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

se remettait à chauffer ses mains ridées. Une extrême inquiétude s’emparait de lui. Il cherchait à savoir quels étaient ces gens et pourquoi il se trouvait chez eux ; et il soupçonnait qu’il s’était égaré dans un repaire de malfaiteurs où quelque puissance inconnue l’avait entraîné sans lui laisser la liberté d’examiner l’aspect des habitants et du maître. Et la peur le prenait tandis que, dans les ténèbres, la vieille à tête blanche et tremblante accroupie devant le feu qui s’éteignait commençait un long récit, à voix basse. Et à son immense terreur le conte prenait corps devant lui ; c’étaient des gestes, des visages, il revoyait tout, depuis les rêves confus de son enfance jusqu’à ses plus récentes pensées ; et toutes ses actions, et toutes ses lectures, et tout ce qu’il avait oublié dès longtemps ; tout s’anime, prend une apparence, atteint à des hauteurs vertigineuses et tourbillonne autour de lui. Il voit s’ouvrir devant ses yeux des jardins magiques et fastueux, naître et mourir des villes entières, des cimetières entiers lui envoyer leurs morts ressuscités, des races entières grandir et décroître, et chacune de ses pensées se matérialisait autour de son chevet