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une tension irrésistible et constante. Où donc l’appelait-on et qui est-ce qui l’appelait ? Qui avait mis dans son sang ce feu insupportable qui le consumait ? Il ne pouvait s’en rendre compte, il avait oublié. Souvent il croyait voir passer une ombre et s’efforçait de la saisir ; souvent il croyait entendre tout près de son lit le froissement de pas légers et le murmure de paroles tendres et caressantes, douces comme une musique. Un souffle humide et haletant glissait sur son visage, et tout son être frémissait d’amour. Des larmes ardentes brûlaient ses joues enfiévrées, et un soudain, un long et tendre baiser aspirait ses lèvres ; alors il lui semblait que sa vie s’éteignait, il lui semblait que le monde, autour de lui, s’était arrêté, que le monde était mort pour des siècles et des siècles, qu’une nuit dix fois séculaire enténébrait l’étendue.

Mais, à d’autres heures, le souvenir lui revenait de ses années d’enfance. Il revivait ces années sans trouble et leurs joies sereines, et leur bonheur perpétuel, et ce premier étonnement – si doux ! – de la vie, alors qu’un essaim d’esprits bienfaisants sortait de chaque fleur qu’il cueillait, et jasait