Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

se lever, sans hâte, sans embarras, et faire sur lui un signe de croix. Il venait de fermer les yeux quand un chaud et long baiser lui brûla les lèvres. Il ressentit comme un coup de couteau en plein cœur, poussa un gémissement et s’évanouit de nouveau.

Alors commença pour lui une vie étrange.

Parfois, dans une confuse conscience, il se voyait condamné à vivre dans une sorte d’inéluctable rêve, un singulier cauchemar de luttes stériles. Épouvanté, il essayait de réagir contre cette fatalité, mais dans le moment le plus désespéré d’une lutte acharnée, une puissance inconnue le terrassait de nouveau ; de nouveau il sentait qu’il perdait connaissance, de nouveau un abîme d’obscurité profonde, sans limites, sans rien devant lui, et il s’y précipitait en criant d’angoisse et de désespoir. Parfois, au contraire, c’étaient des instants de bonheur qui dépassaient ses forces et l’anéantissaient. Alors son corps avait acquis une vivacité convulsive ; le passé s’éclairait, l’heure présente n’était que joie et victoire ; il rêvait éveillé un bonheur inouï. Qui a connu de tels instants ? Une ineffable espérance vivifie l’âme