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pour la centième fois ce que je vaux ? Ne la torturerais-je pas sans cesse ? »

Je restais debout dans la neige, poursuivant mes méditations au fond de l’ombre des rues, là-bas… « Ne vaut-il pas mieux qu’il en soit ainsi ? ― continuai-je à songer, déjà rentré dans ma chambre, ― n’est-ce pas mieux ? Ne vaut-il vraiment pas mieux qu’elle emporte pour l’éternité son offense ? L’offense ! mais c’est une purification ! C’est la plus douloureuse et la plus profonde conscience de la dignité humaine. Dès demain, oui, j’aurais sali son âme et blessé son cœur. Tandis que désormais l’outrage ne périra pas en elle ; malgré toute l’horreur de la boue qui l’attend, l’outrage l’élèvera et la purifiera… par la haine… Hum !… peut-être par le pardon. ― Et pourtant ! En sera-t-elle plus heureuse ?… »

Et je me posais philosophiquement cette question (à étudier aux heures de loisir) : Que vaut-il mieux, un bonheur médiocre ou des souffrances supérieures ? Hein ? Que vaut-il mieux ?

C’est à l’étude de ce problème que j’ai consacré cette soirée d’agonie. Jamais je n’avais tant souffert.

(Je crois néanmoins que, au moment même où