Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/300

Cette page n’a pas encore été corrigée

rais le prévoir ? Non ! j’étais trop égoïste, je méprisais trop les gens pour imaginer qu’elle pût être capable de cela.

Mais cela me fut insupportable. Je m’habillai en toute hâte, prenant les premiers vêtements qui se trouvèrent sous ma main, et je me précipitai à sa poursuite. ― Elle n’avait pas pu faire plus de deux cents pas.

Un temps calme. La neige tombait presque perpendiculairement et formait un matelas sur les trottoirs de la rue déserte. Aucun bruit. La lumière inutile des réverbères me parut singulièrement triste. Je fis en courant deux cents pas jusqu’au plus prochain coin de rue, et là je m’arrêtai.

Où avait-elle pu aller ?

Mais… pourquoi lui courais-je après ?

Pourquoi ? Tomber à genoux devant elle ? pleurer encore ? baiser ses pieds ? lui demander pardon ? Oui, je l’aurais fait. Quel moment ! Jamais, ― jamais ! ― je ne me le rappellerai avec indifférence. « Mais à quoi bon ? Dès demain ne la haïrai-je pas précisément parce que aujourd’hui je lui aurai baisé les pieds ? Suis-je capable de la rendre heureuse ? N’ai-je pas constaté aujourd’hui