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m’étais-je pas dépravé invraisemblablement ? N’avais-je point perdu la notion de la « vie vivante » au point d’avoir osé faire honte à Lisa d’être venue écouter des « mots de pitié » ? ― Et pourtant ! Elle était venue pour m’aimer !… Car, pour une femme, c’est dans l’amour qu’est toute résurrection, tout salut de n’importe quel naufrage. C’est par l’amour et seulement par l’amour qu’elle peut être régénérée. Mais était-ce bien de la haine que j’avais pour Lisa à cette heure où je courais à travers la chambre et m’arrêtais à chaque instant pour regarder derrière le paravent ? Je ne crois pas ; il m’était seulement insupportable de la sentir là, j’aurais voulu qu’elle disparût, j’aurais désiré de la « tranquillité », de la solitude. Je n’avais plus l’habitude de la « vie vivante » ; elle m’écrasait, ma respiration même en était gênée…

Quelques instants se passèrent encore ; elle ne se levait pas, abîmée dans sa stupeur : et j’eus l’imprudence de frapper légèrement au paravent pour la rappeler à elle-même… Elle se secoua brusquement, se hâta de se lever et de prendre son châle, son chapeau, sa fourrure, comme si elle eût voulu se sauver de moi quelque part. Deux