Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/290

Cette page n’a pas encore été corrigée

Que tout soit anéanti, tout, tout ! Il me faut la paix, et pour l’avoir, je donnerais le monde entier pour un kopeck. Si l’on me donnait à choisir entre le thé et l’humanité, je choisirais le thé. Comprends-tu ? Eh ! je le sais : je suis un vaurien, un cochon, un égoïste, un lâche… Sais-tu ? Voilà trois jours que je tremble en songeant qu’à chaque instant tu peux venir. Et sais-tu encore ce qui m’inquiétait le plus ? C’est que, l’autre jour, tu m’as pris pour un héros, et qu’aujourd’hui tu me vois dans ma petite chambre, dans ma misérable et dégoûtante chambre ! Je te disais tout à l’heure que je n’avais pas honte de ma pauvreté… Je mentais, j’en ai honte, honte, plus que de toute autre chose : j’aurais moins honte de voler ! J’ai tant d’amour-propre qu’il me semble, à la plus légère offense, qu’on m’a écorché et que l’air même qui me baigne me blesse. Ne comprends-tu pas, maintenant au moins, que je ne te pardonnerai jamais de m’avoir vu me jeter comme un roquet sur Apollon ? Ce sauveur, ce héros qui se jette comme un chien galeux sur son domestique ! ― et son domestique qui s’en rit ! Et les larmes de tout à l’heure, ces larmes honteuses que j’ai