Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/289

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recevoir un coup de hache, et, aussi longtemps que je parlai, elle m’écouta, la bouche béante, les yeux démesurément ouverts, dans une saisissante attitude d’épouvante. Le cynisme de mes paroles la comblait de stupeur.

― Te sauver ! ― continuai-je en me mettant à courir de long en large dans la chambre, ― et te sauver de quoi ? Mais je suis pire que toi peut-être ! Que pensais-tu, l’autre jour, quand je te faisais de la morale ? « Et toi-même, pourquoi es-tu ici, avec toute ta morale ?… » Voilà ce que tu pensais… Prouver ma force ! prouver ma force ! Voilà ce qu’il me fallait alors. Tes larmes, ton humiliation, ton hystérie, voilà ce qu’il me fallait ! D’ailleurs, une fois que j’eus obtenu ce que je voulais, j’en ai été moi-même atterré, parce que je suis une femmelette, et le diable sait quelle sotte pensée m’a fait te donner mon adresse ! Je le regrettais déjà en rentrant chez moi, et je t’accablais d’injures à cause de cette maudite adresse, et je te détestais déjà ! Car, avec mes mots de pitié, je t’avais menti. Des phrases ! des phrases ! rêver l’action et la traduire en phrases, voilà ma vie. Quant à l’action réelle, sais-tu ce que je veux ?