Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/288

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te le dire, pourquoi tu es venue ! C’est parce que je t’ai dit, l’autre jour, des mots de pitié, cela t’a touchée, et tu es venue chercher encore des mots de pitié ! Eh bien ! écoute, sache que je me suis moqué de toi ! Et maintenant encore je me moque de toi !… Eh ! oui : je me-mo-quais… On m’avait offensé, dans la soirée, à un dîner, des gens… des camarades… et je venais dans votre maison pour provoquer l’un d’eux, un officier, qui avait dû y venir avant moi. Mais je ne l’ai pas rencontré : il fallait bien me venger sur quelqu’un, « reprendre ce qu’on m’avait pris » : tu es tombée sous ma main, et j’ai bavé sur toi toute ma colère, toute mon ironie. On m’avait humilié, je t’ai humiliée. On m’avait tordu comme un torchon : j’ai voulu à mon tour user de ma force… Voilà ! et toi, tu croyais déjà que je venais te sauver ! N’est-ce pas ? tu l’as cru ? tu l’as cru ?

Je savais que quelques détails pourraient lui échapper, mais j’étais sûr qu’elle comprendrait très-bien l’ensemble de mes paroles. Je ne me trompais pas. Elle devint pâle comme un mouchoir, voulut parler, mais ses lèvres se convulsèrent, et elle s’affaissa sur sa chaise comme si elle venait de