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boue ! Et la nuit, quand les morts soulèveront leurs couvercles, tu leur crieras : « Laissez-moi, bonnes gens, encore un peu vivre dans le monde ! J’ai vécu et je n’ai pas vu la vie. Ma vie a servi de torchon aux autres ! On a bu ma vie dans le bouge de la Sennaïa ! Laissez-moi, bonnes gens, encore un peu vivre dans le monde !… »

J’arrivais au pathos, des spasmes commençaient à me serrer la gorge et… Tout à coup je m’arrêtai, la peur me prit, je me soulevai avec terreur, et, le cœur battant, je me penchai et me mis à écouter.

Le cas était embarrassant !

Depuis longtemps je sentais bien que mes paroles devaient bouleverser Lisa jusqu’au fond de l’âme, mais plus cette conviction s’imposait à moi, plus j’avais hâte d’obtenir l’effet le plus intense possible. Le jeu ! le jeu m’entraînait, ― et aussi autre chose… Et j’avais parlé en calculant tous mes mots en vue de l’effet, comme dans un livre. Oui, elle avait raison : on eût vraiment dit que je lisais « dans un livre ». Mais cela ne me gênait pas : je savais, je pressentais que j’étais compris, et ce procédé livresque ne pouvait, à mon sens, qu’aider au