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une marche de pierre et se mit à hurler en pleurant. Tout en se lamentant sur sa destinée, elle frappait avec son poisson les degrés de l’escalier, et sur le perron s’amassaient des cochers et des soldats ivres qui l’excitaient. ― Tu ne veux pas croire que tu deviendras ainsi ? Je ne voudrais pas le croire moi non plus, mais qu’en savons-nous ? Peut-être, dix ou huit ans auparavant, la femme au poisson salé est-elle arrivée ici, fraîche comme un chérubin, innocente, pure, ignorant le mal, rougissant à chaque mot. Peut-être était-elle fière comme toi, comme toi extrêmement sensible, toute différente des autres, et ne soupçonnant pourtant pas quel bonheur attendait celui qui l’aurait aimée et qu’elle aurait aimé. Vois comment elle a fini ! Si pourtant alors, quand, ivre et débraillée, elle frappait de son poisson les degrés fangeux, si pourtant elle s’était rappelé les années de son passé pur, la maison de son père, l’école, la route où le fils du voisin l’attendait pour lui jurer qu’il l’aimerait toujours, qu’il lui consacrerait tout son avenir, et l’heure où ils décidèrent qu’ils s’aimeraient éternellement et s’épouseraient dès qu’ils auraient l’âge !… Non, Lisa, ce serait