Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/255

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la fête ? Malheureuse ! Il n’existe pas au monde une besogne plus horrible que la tienne ! il n’y a pas de travaux forcés comparables à ta vie. Cette seule pensée ne devrait-elle pas dissoudre ton cœur dans les larmes ? Et quand on te chassera d’ici, tu n’oseras dire un mot ni un demi-mot, tu t’en iras comme une coupable. Tu iras dans une autre maison, puis dans une troisième, puis ailleurs encore. Enfin tu tomberas à la Sennaïa. Là on te battra : ce sont les amabilités de l’endroit, les clients y confondent les caresses et les coups. Mais tu ne peux t’imaginer l’horreur de ce bouge ! Vas-y voir une fois, peut-être en croiras-tu tes yeux. Un soir de nouvel an, j’y ai vu une femme à la porte. Pour se moquer d’elle, ses camarades l’avaient mise dehors parce qu’elle pleurait trop. On voulait la faire geler un peu, et l’on avait fermé la porte derrière elle. À neuf heures du matin elle était déjà ivre, débraillée, à demi nue, toute meurtrie de coups ; son visage fardé et ses yeux pochés faisaient un étrange contraste. Ses gencives et son nez suaient le sang : c’était un cocher qui venait de lui administrer une correction. Elle avait dans les mains un poisson salé. Elle s’assit sur