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sein et le mord quelquefois quand les dents lui viennent : et il regarde de travers sa mère tout en mordant : « Tu vois ! je t’ai mordue… » N’est-ce pas le bonheur absolu quand tous les trois sont ensemble, le mari, la femme et l’enfant ? Que ne donnerait-on pour de tels instants ! Non, Lisa, vois-tu, il faut d’abord apprendre à vivre, et il est toujours temps d’accuser le sort !

(C’est par ces petits tableaux qu’il faut te prendre, ― pensai-je. Et pourtant, ma parole, j’avais parlé avec sincérité.) Mais tout à coup je rougis : « Et si elle éclatait de rire, où me mettrais-je ? » Cette idée m’enragea. Vers la fin du discours, je m’étais en effet échauffé, et maintenant mon amour-propre était en jeu. Le silence se prolongea. J’avais envie de la pousser du coude.

― Qu’est-ce donc qui vous prend ?… ― commença-t-elle, puis elle s’arrêta.

Mais j’avais tout compris : un nouveau sentiment faisait trembler sa voix. Elle n’avait plus cette intonation de naguère, brusque, brutale, entêtée. Maintenant sa voix était douce et timide, si timide que je me troublais moi-même et que je me sentis coupable envers elle.